Retour sur le site www.ericleseney.com
En 1975, Alain Colas conçoit, avec l’architecte naval Michel Bigoin, pour la Transat en solitaire de 1976, la construction du plus grand voilier de l’histoire de la course en solitaire, le «Club Méditerranée», un quatre-mâts de 72 mètres de long utilisant la pointe de la technologie française : un triple défi technique, financier et humain.
Il réalise d’abord des aquarelles et des études de faisabilité pour matérialiser son rêve, une première maquette au 10ème pour des essais de voilure dans la soufflerie de l’Office National d’Etude et de Recherche Aéronautique qui testa, en son temps, le Concorde, une seconde maquette au 20ème est élaborée par une filiale de Renault industrie pour définir les surfaces au centième de millimètre et fait calculer le bilan énergétique du bateau par le CNES selon les normes traditionnellement utilisée pour les satellites.
Pour la coque on forme une coulée d’acier à haute résistance. Elle sera montée à l’envers, quille en l’air avant d’être mise à l’eau puis retournée au fil d’un lancement périlleux dans le bassin Vauban de l’arsenal de Toulon.
L’immense voilier doté d’un système de positionnement par satellite, d’un ordinateur et d’un fax, utilise les énergies éoliennes, hydrauliques et solaires, autant de techniques décriées à l’époque dans la presse nautique qui ont servi à équiper depuis tous les bateaux du monde.
Le 19 mai 1975, dans le port de la Trinité-sur-Mer, la cheville droite d’Alain est sectionnée par le cordage d’une ancre de Manureva. Depuis son lit de l’hôpital de Nantes, il coordonne le financement et continue de superviser la construction de son clipper des temps modernes.
Là encore, il innove en matière de communication en signant, avec l’ensemble de la Presse Quotidienne Régionale française un contrat et un plan de communication étonnants. Il leur cède l’exclusivité de ses reportages et photos contre de l’espace publicitaire, charge à lui de leur trouver de nouveaux clients. Et il leur amène le Club Méditerranée de Gilbert Trigano qui engage les deux tiers de son budget publicitaire annuel sur l’opération.
Episode 4
UN JOUR MANUREVA...
Le grand bateau
Dans le quatrième épisode de l'émission "Un Jour Manureva..." découvrez le témoignage de Jean-François Colas sur le Club Mediterranée.
A Nantes, Alain Colas subit 22 Opérations dont certaines sans anesthésie pour ne pas perdre sa lucidité au moment de prendre des décisions importantes. Il appelle un copain d’enfance, l’un de ceux avec lequel il rêvait de faire le tour du monde, devenu spécialiste à Lyon pour savoir exactement quelles sont les meilleures techniques chirurgicales.
On lui prend de la peau sur le ventre, on lui greffe une partie de mollet gauche sur le droit, il ne cille pas et tient le cap avec une volonté extraordinaire. Dans l’épreuve, il garde une grande faculté de réflexion et d’analyse et donne ses ordres à son frère Jean-François qui fait la navette entre Nantes et le chantier naval de Toulon. Après une dernière greffe de nerfs à Nancy, Alain rejoint la coque de son bateau que les ouvriers du port ont vite surnommée « la coque à Colas» et la lance en claudiquant le 15 février 1976.
Jean-Francois Colas témoigne : «Alain est alors l’armateur de la coque vide, mais le temps est compté, il faut positionner les quatre mâts, les 1000 mètres carré de voilure, les 64 manivelles de winchs et autres enrouleurs qui permettront de tourner les 106 cordages, installer le moteur, l’hydraulique, l’électronique avec ses 14 kilomètres de câbles, les capteurs, les circuits d’assèchement et les pompes... Nuit et jour les travaux avancent et, pendant qu’ils continuent, les 500 miles de qualification sont dûment réalisés de Toulon à Toulon.
Et les Anglais passent à l’attaque ! Le comité de course change le règlement ce qui oblige Alain à faire une nouvelle croisière solitaire de 1500 miles entre Lisbonne et Le Havre. Il interdit de faire monter à bord un co-pilote pour les manoeuvres portuaires puis change encore les règles la veille du départ en interdisant l’emploi du radar et le positionnement par satellite... Tout était fait pour pénaliser le Club Méditerranée alors que les skippers étaient supposés être libres de leurs choix de navigation ! Lors d’une conférence en anglais, Alain aura une petite phrase : « Pourquoi les organisateurs n’interdiraient-ils pas à tous les français qui boîtent de participer à la course ?».
Si les bookmakers parient sur lui, d’autres affirment très sérieusement que «Club Med est une grosse m... et qu’il va se traîner !» ou que c’est «bateau presse bouton». Eric Tabarly ajoute de l’huile sur le feu : «ce bateau est une caricature qui a multiplié par deux les erreurs de Vendredi 13...». Alain laisse dire.
Le Club Méditerranée, le plus grand bateau piloté par un homme seul à son bord fait sensation par son gigantisme et ses innovations et s’aligne, à Plymouth, le 5 juin 1976, au départ de la 5ème Transat anglaise. Une course dantesque pour les 125 concurrents dont seulement 78 seront à l’arrivée ! Comme Alain court sur «Club Med», Olivier de Kersauson y voit la possibilité de courir -enfin- sur Pen Duick IV devenu Manureva. Alain refuse, son frère Jean-François a entre-temps passé le test qualificatif de 400 milles en solitaire nécessaire pour s’inscrire au départ et compte bien en être. Il ne partira finalement pas du fait d’un flotteur défectueux et Manureva ne courra pas contre «Club Méditerranée».
En trois semaines, cinq fortes tempêtes se succèdent dans l’Atlantique Nord, coulant plusieurs bateaux. Sur «Club Méditerranée», des ruptures de drisses (les câbles de voilure) rendent les manoeuvres très difficiles. Tabarly étant annoncé «par erreur» en tête et déjà au large des côtes américaines, Alain Colas, croyant la course jouée, décide d’une escale technique à Terre-Neuve de 36 heures puis repart et arrive à Newport le 29 juin, seulement 7 heures et 28 minutes après le vainqueur...Eric Tabarly. Second de l’épreuve, il sera pénalisé de 58 heures et rétrogradé à la cinquième place pour avoir été aidé par un équipier à sortir du port de Terre-Neuve.
Fin 1976, à l’occasion des cérémonies du bicentenaire des Etats-Unis, Alain Colas et son «quatre-mâts» sont invités à représenter la France lors de la parade des Grands Voiliers à New York sur l’Hudson. De retour en France, il organise, en août et septembre, l’opération «Bienvenue à bord».
Le principe : accueillir gratuitement, dans les grands ports de la Manche et de l’Atlantique, sur «Club Méditerranée», les visiteurs le matin et proposer l’après-midi des sorties en mer avec participation aux frais suivies de projections et de conférences. Fort de son succès, il ré-édite l’opération au printemps et à l’été 1977 dans les ports de la Méditerranée.
Après le drame de novembre 1978 puis de nombreuses années passées à Tahiti, quasi abandonné, «Club Méditerranée» est acheté à petit prix par Bernard Tapie à Teura Krauze, la compagne d’Alain Colas qui n’a plus les moyens de l’entretenir.
L’homme d’affaires le rebaptise Phocéa en hommage à la ville de Marseille, et en fait, après 4 ans de travaux et 68 millions de francs d’investissements dirigés par son architecte concepteur Michel Bigoin, un navire de luxe équipé de cabines, de salons, d’espaces sportifs et ludiques... En 1997, la milliardaire Mouna Ayoub rachète Phocéa pour 6 millions d’euros, le ré-aménage pour 17 millions de dollars, en fait son adresse personnelle et le loue jusqu’à 210 000 € par semaine. Il a énsuite été racheté par "Xavier Niel, fondateur de Free, associé aux frères Rosenblum créateurs du site Pixmania pour une somme estimée à 10 millions d’euros" (source Voiles et Voiliers / Ouest-France). Le Phocéa a pris feu le 18 février 2021 en Malaisie avant de sombrer. Triste destin pour un formidable quatre-mâts de 72 mètres, symbole du génie français qui rend tous ceux qui aiment Alain Colas et rêvaient de revoir ce bateau mythique revenir en France, plus tristes encore. Pour l'anecdote, quand Bernard Tapie avait acheté le Club Med, il avait, sur le chemin du retour, battu le record de Charlie Barr de la traversée de l'Atlantique dans le sens Amérique Europe. Un record qu'Alain Colas avait lui-même tenté de battre sans succès (lors de son retour de sa Transat victorieuse) avec Manureva en 1972.
Des Boers à Saïgon, le grand-père aventurier
Dans leur jeunesse, Alain et Jean-François Colas adoraient que leurs parents racontent les exploits de leur grand-père maternel parti très jeune à Madagascar où il devint l'interprète de la reine Ranavalona avant de partir combattre les Boers du côté de l'Afrique du Sud, d’aller explorer les peuples Moïs en Cochinchine et de finir capitaine du port de Saïgon !
De quoi alimenter la soif d’aventures d’Alain qui allait, avec son frère pour bras droit, révolutionner le monde de la voile sportive et la faire devenir ce qu’elle est aujourd’hui.
Cette partie du site www.ericleseney.com dédié à Alain Colas a été créé et écrit par Eric Le Seney et mis en page par Stéphanie Wulle.
Textes et vidéos ©Eric Le Seney Sewels production Photos Alain Colas et archives vidéos ©Famille Colas Film "Alain Colas, rêves d'océan" a été coproduit par injam Productions et l'INA
Tous droits d’utilisation ou de reproduction interdits sans autorisation.
Conformément aux articles 39 et suivants de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée en 2004 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés,
vous pouvez obtenir la communication et, le cas échéant, la rectification ou la suppression des informations vous concernant en nous écrivant à l’adresse : sewels@orange.fr